Inconnu à cette adresse – Théâtre Akteon
Mr. Martin Schulse – Schloss Rantzenburg – Munich – Germany
Mr. Max Eisenstein – Galerie Schulse-Eisenstein – San Francisco – Californie – USA
Inconnu à cette Adresse (Empfänger unbekannt) de Kressmann Taylor, Théâtre Akteon, le 2 mars 2012
Production: Pierre Sallustrau
K. Kressmann Taylor écrivit dans les années trente ce petit chef-d’œuvre qui ne contient que 18 lettres, qui fut publié en 1938 dans « Story Magazine » à New York et bouleversa tout de suite toute l’Amérique. 1938 est aussi l’année où Charlie Chaplin produisit sa parodie sur Hitler « Le grand dictateur ». En Europe le livre est arrivé beaucoup plus tard (1992 en Allemagne) peut-être comme résultat de la montée de l’extrême droite. Il a connu un succès énorme en France. Moi, je l’ai lu l’année dernière. On ne peut pas construire un drame plus grand sur si peu de pages. Max et Martin, deux amis, partagent une galerie très profitable à San Francisco en Californie. Ils se séparent en 1932 lorsque Martin Schulse, l’Allemand, retourne avec sa famille en Allemagne, à Munich alors que Max Eisenstein, le juif, reste à San Francisco en charge de la galerie d’art. Le livre commence doucement, sous la forme de lettres entre amis qui se racontent leur vie dans leur ville respective. Peu à peu Max perçoit un changement dans les mots de Martin, qui succombe progressivement à la propagande ambiante.
Sur scène, Pierre Sallustrau, qui joue le rôle de Max, perd son insouciance et devient visiblement de plus en plus sombre et angoissé. La panique et la tristesse s’installent. Il se rend compte de l’évolution de son ami, qui est passé d’un côté à l’autre – d’un (presque) libéral américain à un défenseur de la monstruosité nazie. Au cours de l’été de 1933, Martin lui demande de ne plus lui écrire. Mais Max ne peut pas arrêter. Il apprend que sa sœur Griselde est allée imprudemment exercer son métier de comédienne à Berlin. Il en est très préoccupé, d’autant plus qu’elle lui avait raconté avoir ouvertement fait état sur scène de sa religion juive, suscitant des réactions très hostiles de la part du public.
Sa dernière lettre à Griselde, qu’il avait adressée comme d’habitude au théâtre, étant revenue avec la mention « Inconnue à cette adresse », il supplie Martin de l’aider à la retrouver. Mais Martin a très peur des conséquences pour lui-même d’un quelconque geste en faveur d’une Juive. Lorsque Griselde (avec laquelle il avait même vécu une petite histoire d’amour) qui a réussi à échapper aux nazis, mais qui est poursuivie par les SA, vient lui demander de l’aide, il refuse et assiste sans intervenir à sa fin brutale.
Max décide de venger sa sœur et punir son ex-ami. Il utilise à cette fin le seul moyen qui est à sa disposition : le courrier. Malgré les demandes répétées et de plus en plus angoissées de Martin de ne plus lui écrire, Max commence une véritable harcèlement épistolaire sous la forme de lettres codées compromettantes (« rappelle-toi l’anniversaire de la grand-mère », « Mandelberg s’est souscrit à l’ associations de jeunes peintres allemands », « j’accepte tes conditions », « Picasso 17 sur 81″, ).
Et il réussit. Sa dernière lettre lui est retournée par la Poste avec la mention : « Inconnu à cette adresse ».
Alain Tardif joue Martin avec une telle intensité qu’à la fin il est épuisé – profondément ému et de plus en plus faible, éteint, paniqué! Pierre Sallustrau dans le rôle de Max reprend la force que Martin perd tout au long de la pièce. Au commencement Martin est « the winner » il a une belle femme, des enfants, une belle maison, un poste important et des amis influents. Max est faible, seul et pense à son ami, et à sa vie dans le passé. Mais la mort de sa sœur et la trahison de son ami le transforment – il devient fort et puissant – son seul but est la destruction de Martin.
Les deux acteurs ont su transmettre sur scène l’angoisse que j’avais ressenti grandir tout au long de ma lecture. Merci!
Christa Blenk